Heureux les artisans de paix

La Conférence Mennonite Mondiale n’a pas officiellement d’églises membres anabaptistes au Moyen-Orient. Ne pas créer une autre église dans une région offrant une grande diversité a été une décision missiologique. 

Cependant, les chrétiens palestiniens sont un témoignage pour la communion mennonite dans le monde. Là où la théorie rencontre la réalité, ils ont montré à ceux qui y prêtent attention ce qu’est être fidèle à l’appel de Jésus à la non-violence. 

Depuis le 7 octobre 2024, les yeux du monde sont tournés vers le Moyen-Orient où violence et différentes sortes of violations ont déclenché un flot de mort et de destruction. 

En tant que chrétiens, nous pouvons nous tourner vers notre Bible pour interpréter les réalités d’aujourd’hui à la lumière des promesses faites il y a longtemps. 

« La réponse à cette question est différente pour chaque communauté religieuse », dit Dorothy Jean Weaver. Pour une communauté juive, les réponses découlent de la Bible hébraïque, mais en tant que chrétiens, nous sommes appelés à vivre dans le cadre de la nouvelle alliance, où la géographie « n’est plus un facteur pour les disciples de Jésus ». 

Dorothy Jean Weaver s’est jointe à plusieurs universitaires mennonites ayant une expérience de la région pour réfléchir au passage d’aujourd’hui. 

Une trajectoire d’inclusion 

Dès Genèse 12, nous pouvons discerner une trajectoire d’inclusion qui se poursuit dans toute l’Écriture, explique J. Nelson Kraybill. Il y est question de bénédiction et de malédiction, mais celles-ci sont transmises aux autres par l’intermédiaire du peuple d’Israël. 

« Dans Amos 9,7, Dieu libère non seulement les Israélites, mais aussi d’autres peuples, même ceux qui sont considérés comme ennemis d’Israël », ajoute Paulus Widjaja. 

« L’un des thèmes qui ressort de l’Ancien Testament, dans des passages tels que Lévitique 26 ou Jérémie 7, est que l’alliance avec le peuple de Dieu est conditionnée à la pratique de la justice », explique J. Nelson Kraybill. 

« Jésus reprend ensuite la vision d’Esaïe, qui voit toutes les nations affluer vers la montagne de la maison du Seigneur (Esaïe 2,2), lorsqu’il dit que la montagne du Temple est censée être une maison de prière pour toutes les nations (Matthieu 21,13) », dit J. Nelson Kraybill. 

« Matthieu (qui est un évangile très juif) se termine par le départ des disciples de Jérusalem, de Galilée, pour aller faire des disciples de toutes les nations » explique Dorothy Jean Weaver. 

La même chose se produit dans l’Évangile de Luc. Au début de l’histoire de Jésus, l’accent est mis sur Jérusalem, mais à la fin, et plus encore dans les Actes, « l’Évangile se déplace de la Judée à la Samarie jusqu’aux extrémités de la terre », dit Dorothy Jean Weaver. 

Let Gaza Live’ œuvre d’art par Leyla Barkman

Un cadre différent 

Il y a parfois un problème d’ignorance, même chez certains chrétiens, dit Paulus Widjaja. « L’Israël de la Bible et l’État moderne d’Israël sont deux choses différentes. Nous ne pouvons pas les associer comme si l’Israël moderne était l’Israël biblique ». 

« Ce qui me rend triste, c’est que ce qui a été créé aujourd’hui, c’est la haine, et non l’amour. Les Israéliens comme les Palestiniens sont devenus des victimes », déclare Paulus Widjaja. 

« Selon le Lévitique, la terre appartient à Dieu — les gens sont des locataires et des étrangers sur la terre », dit Alain Epp Weaver. Cela s’applique aussi bien à Israël qu’à l’Amérique du Nord ou à n’importe quel autre endroit. 

« Rappelons-nous qu’en tant que mennonites, nous avons historiquement rejeté l’idée de l’État-nation et de la souveraineté des rois », dit Jonathan Brenneman. 

« Si nous lisons attentivement la Bible, Abraham a été choisi non pas pour lui-même, mais pour bénir les autres », explique Paulus Widjaja. 

« Et dans le Nouveau Testament, nous voyons que ces idées sont reprises et élargies pour inclure le peuple de Dieu qui suit Jésus (1 Corinthiens 6,19, 1 Pierre 2,9) », ajoute Dorothy Jean Weaver. 

« Pour savoir si nous sommes des intendants fidèles de la terre que nous habitons, il faut savoir si nous y rendons la justice. Nous avons besoin d’une théologie de la compassion pour Israël et la Palestine, une théologie qui reconnaisse l’image de Dieu et de chaque personne — qu’elle soit israélienne, palestinienne, musulmane, chrétienne ou juive. Dieu appelle les gens à faire régner la justice et à s’opposer à la violence de l’État-nation qui porte atteinte à l’image de Dieu », déclare Alain Epp Weaver. 

« En tant qu’anabaptiste, je suis en quête d’un système transnational, populaire, qui ne soit pas basé sur l’État. Il n’est pas lié à l’ethnicité. Rien ne justifie la violence dans la vie d’un chrétien, car nous suivons celui qui, même capturé par l’armée impériale (la police), a dit “de remettre son épée dans son fourreau” et a guéri l’oreille de Malchus (Jean 18,10) », explique Sarah Nahar. 

« En lisant la Bible jusqu’à l’Apocalypse, nous découvrons que nous sommes appelés à être des groupes de personnes qui vivent d’une manière égalitaire, en brisant les frontières et en respectant profondément la terre et les autres », ajoute-t-elle. 

« C’est un appel à la complexité, et non à la facilité. Nous cherchons à être des personnes qui vivent sans avoir besoin de contrôler les autres », dit-elle encore. 

« Les églises blanches d’origine européenne ont hérité de théologies antijuives qui affirment que Dieu a répudié le peuple juif. Nous devons examiner et rejeter les théologies antijuives qui ont alimenté l’antisémitisme », dit Alain Epp Weaver. 

« Historiquement, l’antisémitisme fait partie intégrante du colonialisme et du racisme européens. En tant qu’anabaptistes, nous devons nous opposer fermement à l’antisémitisme en tant que forme de racisme », dit-il encore. 

« Le même appel concerne tous les lecteurs de la Parole : aimer la miséricorde, rechercher la justice, libérer les opprimés, relâcher les captifs, déclarer le Jubilé (Michée 6,8) », dit Jonathan Brenneman. 

La réponse à la question « qui est élu » se trouve dans les Béatitudes : « Heureux les artisans de paix, heureux ceux qui ont faim et soif de justice, heureux les pauvres » (Matthieu 5,3-10). 

« Heureux les opprimés, en somme », dit Jonathan Brenneman. 

Certains commentateurs, y compris des organisations de défense des droits de l’homme, ont qualifié la réalité du Moyen-Orient d’aujourd’hui un apartheid. Comment les mennonites peuvent-ils créer un espace où tous les peuples, palestiniens et israéliens, pourront s’asseoir en toute confiance sous la vigne et le figuier (Michée 4,4) ? 

« Il est très difficile de voir quelle feuille de route permettrait de passer de la réalité actuelle de la violence et de la discrimination structurelle à une réalité future dans laquelle les Palestiniens et les Israéliens pourraient vivre librement, en sécurité et en paix », dit Alain Epp Weaver. 

« Nous prions, nous soutenons les Palestiniens et les Israéliens qui s’efforcent de faire tomber les murs de séparation qui empêchent les gens de se reconnaître les uns les autres comme enfants de Dieu et même de voit ces murs de séparation. Nous devons nous élever contre les fossés qui se dressent (amusant « des fossés qui se dressent !) murs élevés dans nos cœurs — et même contre les murs de pierres érigés par l’État israélien — qui blessent, dégradent et tuent », déclare-t-il. 

« Nous vivons dans un monde qui a été divisé, où un groupe de personnes déclare “ceci est à nous !” à propos d’une parcelle de terre. Mais notre appel à être fidèles, où que nous soyons dans la société, est de faire pression pour que s’accomplisse la justice de Dieu sur terre selon la mesure de notre énergie pour avancer vers cet objectif, car nous sommes mandatés par Dieu : “ Que ton règne vienne, que ta volonté soit faite sur la terre” (Matthieu 6,12) », dit Dorothy Jean Weaver. 

« Qui est responsable de l’accomplissement de la volonté de Dieu sur terre ? » demande-t-elle. “La réponse définitive est que Dieu est tout-puissant. Mais Dieu nous appelle aussi à agir pour que sa volonté se réalise sur terre. Nous devons prier le Notre Père avec audace et courage”. 

Pour ceux qui vivent au Canada et aux États-Unis, le mouvement mennonite « Dismantling the Doctrine of Discovery » (Coalition pour la Déconstruction de la Doctrine de la Découverte) nous aide à reconnaître que le péché est structurel, ce qui est un véritable défi. 

“Le travail que je peux entreprendre consiste à comprendre comment les dynamiques de pouvoir se manifestent partout, à reconnaître les systèmes de déplacement et de dépossession, à me demander à quel prix et au détriment de qui j’obtiens des privilèges dans la société”, explique Sarah Nahar. 

“L’Évangile propose une nouvelle façon de penser nos vies et nous encourage à dépasser les frontières, où que nous soyons et qui que nous soyons”, ajoute-t-elle. 

“D’un point de vue éthique, si nous voulons que notre action ait un sens, elle doit se fonder sur un récit, sinon elle n’aura aucun sens”, explique Paulus Widjaja. 

Ceux qui recherchent des récits significatifs pour fonder leur action et leur compréhension de la Terre sainte ont la possibilité de le faire. Le Bethlehem Bible College, une école évangélique située au cœur de la Cisjordanie, organise sa 7e conférence  : ‘Le Christ au checkpoint’ du 21 au 26 mai 2026. “Faire la justice, aimer la miséricorde : le témoignage chrétien dans les contextes d’oppression” — une invitation à “venir et voir !” en personne ou en diffusion en direct. (Cliquez ici pour en savoir plus.) 

Comment les mennonites peuvent-ils être pacifiques sans être passifs ? Lorsqu’il semble y avoir deux camps, est-il possible d’être neutre sans se ranger implicitement du côté de l’oppresseur ? 

“La neutralité est un mot très dangereux pour nous, car il nous permet d’imaginer que les choses sont égales, alors qu’elles le sont rarement”, dit Dorothy Jean Weaver. 

Dans une grande partie du monde, en particulier aux États-Unis, il est admis que les chrétiens sont du côté de l’armée qui commet le génocide. En tant que chrétiens, si nous ne nous exprimons pas, on considère que nous sommes du côté du militarisme, de la violence et du génocide », dit Jonathan Brenneman. 

« Si nous examinons cette question d’un point de vue théologique, alors oui, nous prenons parti, mais pas pour un peuple, et certainement pas pour un État — nous prenons parti pour des valeurs : la justice, la paix, la réconciliation », dit Paulus Widjaja. 

« Dans la Bible, les Israélites pensaient que Dieu était toujours de leur côté, mais il y a eu des moments où Dieu a dit : “Je suis de ton côté quand tu es opprimé, mais je suis aussi avec les autres quand ce sont eux qui sont opprimés”. 

Voyez les prophètes bibliques. On ne pourrait jamais les accuser d’être neutres face aux situations qu’ils ont vécues », ajoute Dorothy Jean Weaver. 

« Je me range donc du côté des principes chrétiens de justice, d’amour et de réconciliation. Qui que ce soit est opprimé, je serai avec lui, quelle que soit sa nationalité », déclare Paulus Widjaja. 

« Il a été très important de faire de la théologie dans les rues ensemble, en travaillant pour un cessez-le-feu avec des juifs, des musulmans, des chrétiens, des bahá'ís et des humanistes », dit Sarah Nahar, qui voit qu’il y a bien davantage que deux camps. 

« J’ai eu l’occasion de faire de la théologie aux côtés de juifs antisionistes qui sont très malheureux lorsque leur foi magnifique, multiforme et profonde est anéantie d’un côté par le nationalisme et de l’autre par le militarisme », dit-elle. 

Les chrétiens se remettent encore de l’année 313 après Jésus-Christ, lorsque l’empire s’est emparé de la chrétienté ; aussi nous pouvons comprendre ceux qui disent qu’ils ne veulent pas être associés au pouvoir de l’État. 

« La violence de l’État ne me protège pas : ce sont les relations qui me protègent. Nous pouvons avoir la sécurité et une place dans un monde que l’on partage », continue-t-elle. 

« D’un point de vue eschatologique », dit Alain Epp Weaver, « il n’y a qu’un côté, le côté de l’humanité, l’humanité que Dieu réconcilie avec lui-même par l’œuvre de l’Esprit, l’Esprit qui brise les murs de la division et de la haine ». 

« Pour l’Église, témoigner dans ce monde brisé signifie s’élever contre toutes les formes d’injustice, y compris les structures d’occupation militaire qui construisent des murs et approfondissent les divisions. Lorsque nous défendons la justice, les gens nous accusent parfois de créer des divisions, mais nous sommes animés par cette vision d’une humanité réconciliée que Dieu rappelle à Lui, nous rappelant à notre nature originelle », déclare Alain Epp Weaver. 

Les chrétiens palestiniens ont lancé un appel qui a été publié à la fin du mois d’octobre : « Nous demandons aux responsables d’églises et aux théologiens occidentaux qui soutiennent les guerres d’Israël de rendre compte de leur complicité théologique et politique avec les crimes israéliens contre les Palestiniens », écrivent-ils. (Cliquez ici pour lire le document complet.) 

« J’ai vu et je soutiens cet appel », dit Alain Epp Weaver. « L’Église occidentale a été complice de la dépossession des Palestiniens. Il est grand temps qu’elle s’exprime par des actions concrètes. 

« La large coalition chrétienne palestinienne qui a écrit cette lettre travaille en étroite collaboration avec les autres et dénonce le bluff de l’Église occidentale. Je prie pour que l’Église occidentale ait des oreilles et un cœur pour écouter », dit Dorothy Jean Weaver. 

« Je suis reconnaissante à la tradition pacifiste de nous permettre de prendre courageusement et humblement non seulement position, mais aussi d’agir et de prier en nous engageant à ne pas éliminer les autres », déclare Sarah Nahar. 

« Si nous nous trompons, nous pouvons chercher, réparer et apprendre. Je me poserai certaines de ces questions à l’occasion de notre 500e anniversaire, que certains estiment devoir être célébré parce que nous avons été fidèles, tandis que d’autres pensent qu’il devrait s’agir d’un moment de deuil parce que notre corps chrétien a été déchiré », ajoute-t-elle. « C’est également une question complexe. » 

« Nous continuons tous à agir et à prier pour la guérison de ce qui est brisé dans le monde et nos propres vies », dit J. Nelson Kraybill. 

Contributeurs 

  • Dorothy Jean Weaver a pris sa retraite après avoir enseigné le Nouveau Testament au Eastern Mennonite Seminary de Harrisonburg, en Virginie (États-Unis). Elle a aussi beaucoup voyagé en Israël-Palestine et à l’extérieur, à la fois dans le cadre de congés sabbatiques universitaires et pour diriger des voyages d’études et des groupes de travail. 
  • J. Nelson Kraybill est un universitaire à la retraite et ancien président de la CMM (2015-2022). Il est également impliqué depuis longtemps en Israël-Palestine, à la fois en tant qu’organisateur de voyages et en tant qu’universitaire. Il a récemment été chercheur en résidence au Bethlehem Bible College, en Cisjordanie, pendant huit mois. 
  • Paulus Widjaja est pasteur ordonné de la GKMI. Il est chargé de cours à la faculté de théologie de l’université chrétienne Duta Wacana à Yogyakarta, en Indonésie. 
  • Alain Epp-Weaver dirige la planification stratégique du Comité Central Mennonite. Il vit à Lancaster, en Pennsylvanie (États-Unis). Il a travaillé pendant 11 ans en Palestine occupée, dont deux ans à Gaza, en tant que coordinateur de programme, et a écrit et édité des livres sur la Palestine. 
  • Jonathan Brenneman est un mennonite américain d’origine palestinienne. Il a travaillé avec les Community Peacemaker Teams en Palestine et a travaillé sur le programme « Peace in Israel and Palestine (Paix en Israël et en Palestine) » de Mennonite Church USA en 2017. 
  • Sarah Nahar vit actuellement à Syracuse, dans l’État de New York (États-Unis), sur les terres non concédées de la nation Onondaga. Elle a été la représentante de l’Amérique du Nord au sein de AMIGOS — un précurseur du Comité YABs de la CMM. En tant que directrice exécutive de Community Peacemaker Teams, elle a servi en Israël-Palestine et a travaillé avec le Sabeel Liberation Theology Centre à Jérusalem. 

39.1

Updated 16 April 2024: date of Christ At The Checkpoint conference corrected

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